« Les hommes se cachent pour pleurer »

Le mot « environnement » désigne l’ensemble des éléments qui constituent le voisinage d’un être vivant ou d’un groupe d’origine humaine, animale ou végétale et qui sont susceptibles d’interagir avec lui directement ou indirectement. En d’autres termes, c’est ce qui nous entoure, ce qui est aux alentours. L’environnement paraît donc comme un élément très essentiel pour la survie de l’homme. C’est lui qui offre son hospitalité aux hommes et leur permet d’agir, de créer en toute liberté. Depuis longtemps, une relation intrinsèque lie l’homme à son environnement. Ainsi, l’homme étant un être de création, d’invention, doué de conscience et de raison va chercher donc selon son entendement à aménager son environnement à son gré. Ainsi, l’homme, avec les progrès scientifiques, va chercher à transformer  son environnement. Depuis le XIXème siècle, des changements spectaculaires sont intervenus sur cette boule qui nous loge grâce à la révolution industrielle comme l’avait déjà prédit René Descartes le siècle précédent : grâce à la science, les hommes deviendront comme « maîtres et possesseurs de la nature ». Cependant à côté de ce discours élogieux  vis-à-vis de la science et de la technologie, on s’aperçoit malheureusement que ce progrès flirte avec des fléaux graves qui minent l’humanité. Parmi ceux-ci figure en bonne place la destruction de l’environnement qui sévit dans quasiment toutes les contrées du monde. Ce fléau va rapidement interpeller la conscience des hommes qui chercheront voies et moyens pour endiguer ce mal. C’est ce qui donnera naissance à des disciplines qui ont pour objet de réfléchir sur l’environnement afin de réglementer son exploitation. Il existe une kyrielle de disciplines mais nous pouvons énumérer quelques-unes : la sociologie de l’environnement, le Droit de l’environnement, l’environnementalisme, l’éthique environnementale etc. La littérature étant aussi une discipline au même titre que les autres ne saurait rester en marge de cette évidence. Partant de cette remarque, les écrivains étant tout à la fois des producteurs d’esthétique, de beauté et des « travailleurs du progrès », pour parler comme Victor Hugo, vont aussi apporter leur part pour la réussite de cette mission commune de sauvegarde de l’environnement. Plusieurs écrivains dans leurs œuvres touchent du doigt la thématique environnementale. C’est sans doute  dans ce contexte que s’inscrit l’écrivain Ferdinand FARARA qui dans son œuvre intitulée Les hommes se cachent pour pleurer publiée en 2019 aux Editions Awoudy met en exergue les menaces de l’environnement par les hommes et suggère par ricochet des directives à suivre pour la sauvegarde de notre maison commune, la terre. Cette présente analyse consistera à montrer comment la littérature s’intéresse à la notion de la protection de l’environnement. Comment la littérature peint-elle la situation  délicate de la dégradation  de l’environnement ? Comment par le jeu des personnages, l’emploi d’un champ lexical de  l’environnement, la littérature invite à la protection de l’environnement ?

La littérature est incontestablement un moyen d’expression au service du bien-être social. Elle traite ainsi des problèmes qui minent la société. De ce fait, l’écrivain FARARA choisit volontiers de traiter par sa plume le problème de la dégradation de l’environnement. Pour rendre compte de la thématique de l’environnement dans Les hommes se cachent pour pleurer nous pouvons constater la récurrence d’un champ lexical de l’environnement : « fleurs, arbre, créatures célestes, oiseau, végétation, forêt, feuilles vertes, fruits, réchauffement climatique, écosystème, désagrément climatique… ». L’environnement fictif de Chacha-Ouidah de FARARA est un environnement initialement présenté comme un endroit sain, naturellement bien portant. C’est d’ailleurs raison pour laquelle il y existait une forêt légendaire du nom de « Aboutcha », qui était « une fierté pour le village, parce qu’elle est classée parmi les sites du patrimoine de l’UNESCO pour sa particularité ». p. 28. Le cadre naturel peint par FARARA est un milieu  où il fait bon vivre. C’est cela qui a motivé le père de François à « faire un tour dans les bois pour profiter d’une bouffée d’oxygène » p.26. Cet endroit est agréable aussi par la mélodie très suave et naturelle que fournissent les éléments de  nature comme certains oiseaux : « les rossignols, les tourterelles, les coucous ». La présence de ces composantes de la  nature au  début de l’œuvre montre bien une paix et une santé environnementale à Aboutcha. L’emploi récurrent du mot « vert » dès le début dans l’œuvre met en évidence la bénédiction, l’abondance, la joie que garantie un environnement sain et protégé. La protection de l’environnement ressentie dans les premières pages de l’œuvre met les habitants à l’abri  du mal. Par exemple la présence d’une espèce végétale a la vertu  de  repousser les serpents. Cette plante dénommée « dumkoyè » non seulement repousse les reptiles dangereux des lieux d’habitation  mais aussi : « ses feuilles se révèlent être un remède efficace contre toute morsure de serpent »p.29.  De tout ce qui précède, dès les premières pages, l’auteur présente  l’environnement écologique comme un élément protecteur de l’être humain. Cette vision de l’auteur restera-elle la même au fil des pages ?

Le XXIème siècle, considéré comme le siècle  de la mondialisation, de la science technologique s’imposent à l’homme comme un moyen de  progrès. Qui parle de progrès, parle de capitalisme. Ce faisant, les recherches scientifiques et les découvertes s’accentuent dans plusieurs domaines. Cette visée capitaliste dans la recherche du profit surgit dans l’œuvre de FARARA et embrouille le schéma narratif. La valeur de la forêt d’Aboutcha se trouve mise en jeu par l’irruption des scientifiques à Chacha-Ouidah en vue d’exploiter le « dumkoyè ». C’est ce que FARARA désigne par « capitalisme meurtrier » p.29. L’idée de commercialisation du « dumkoyè » contribuera sans nul doute à la destruction de la forêt, et généralement de l’environnement de Chacha-Ouidah. L’écrivain fait transparaître les conséquences néfastes qui découlent de l’exploitation irrationnelle et non réglementée des composants naturels. L’exploitation  de la forêt d’Aboutcha par les scientifiques   ne tarde pas à donner de retombées négatives. A la page 30, l’exploitation anarchique entraîne «  le réchauffement climatique » et par voie de conséquence la disparition du « dumkoyè ». Les habitants de Chacha-Ouidah  n’ont pas songé une seule fois aux conséquences qui peuvent découler de l’exploitation de leur forêt pour des fins lucratives. Les hommes ont déclaré donc la guerre à eux-mêmes en pensant menacer la nature. Emmanuel Berl déclarait déjà que : « il (l’homme) a déclaré la guerre à la nature, il la cessera ou la perdra ». Pour parodier E. Berl la population de Chacha-Ouidah « est dans de mauvais draps ». Cette guerre entre l’homme et la nature se ressent dans l’œuvre par cette portion : « L’on peut donc en déduire la conséquence : Aboutcha finit par être infestée de serpents, qui dans leur accroissement débordaient même de la forêt pour faire des victimes même dans les logis des villageois ». En dégradant la nature, les hommes dégradent aussi leur vie. La liste des victimes de la dégradation de la forêt d’Aboutcha s’allonge. Le père de François sera aussi victime de ce mal à cause de son attachement à l’environnement. Lors d’une promenade dans la forêt, le père de François meurt par la morsure d’un serpent très venimeux. Il devrait être en vie si cette forêt n’avait pas été détruite et que les essences vertueuses qu’elle renfermait existaient. Notamment  le « dumkoyè » qui a la double vertu de repousser les serpents et de guérir les morsures de serpent. Ainsi, la destruction de cette forêt à cause du « dumkoyè »,  « cette espèce a complètement disparu d’Aboutcha »p.33. Sur un ton triste, pathétique et regrettable que l’auteur déplore le fait : « Quelle tragédie écologique à Chacha-Ouidah ! Quelle malédiction pour ses habitants ! » p.33. Plus loin, l’écrivain illustre les autres causes de la dégradation de l’environnement. Parmi celles-ci figure l’action incivique des transhumants : « les peuls qui, au passage avec leurs troupeaux, avaient l’habitude malsaine de provoquer des feux de brousse » p.137. Ceci entraîne la sècheresse et l’incendie de la forêt d’Aboutcha. En somme, on se rend compte donc que l’exploitation abusive de la nature a des répercussions sur la vie des hommes. Comment se manifeste la protection sous la plume de l’auteur de l’œuvre?

L’écrivain étant un produit social doit aussi  œuvrer pour la survie notre  maison commune. Ainsi cela se manifeste dans le texte littéraire par le choix des personnages ayant des ambitions écologistes très poussées, prêts à se sacrifier pour la protection de l’environnement. C’est ce qu’a fait justement FARARA par le choix du personnage de François qui est un écologiste engagé et incomparable prônant la biodiversité. François est engagé dans une mission de lutte pour la protection de l’environnement. La position de François révèle une théorie écologique : l’éco centrisme individualiste. Dans le prologue déjà il assure la nutrition des oiseaux sauvages chaque matin : « il sort toujours de la voiture avec la paume remplie de céréales qu’il jette à la volée pour faire le bonheur de quelques  rois d’azur » et ensuite veille au bien être de certains composants naturels : « puis vérifie si tous les arbres de la haie, allant du parking au grand bâtiment de l’administration, sont tous en bonne forme ». L’écologiste de FARARA est attaché exagérément et follement à la cause environnementale, c’est donc pourquoi l’auteur le qualifie  de « maniaque » p.12. Il trouve d’ailleurs que « casser une branche ou de couper certaines parties des plantes sous prétexte même de faire des bouquets de fleurs » p.11 est du gâchis. Il exhortait son entourage à en faire autant que lui raison pour laquelle il « recommandait le bien être de ces espèces » au paysagiste de façon humble : « ton de pitié ». Il est allé même « engueulé la dame », une des dames de réception qui « pour l’anniversaire du Directeur, était allée cueillir fraichement certaines fleurs ». L’attachement de François à la nature reste le même tout le long de la narration. Aux pages 137, 138, 139,140 et 141, François était prêt à se livrer corps et âme dans la sauvegarde de la nature. Il était lancé dans la mission d’extinction de l’incendie qui a enrôlé la forêt d’Aboutcha à Chacha-Ouidah et qui lui a valu la mort : « François est mort suite à des suites de ses blessures et brûlures dans l’incendie d’Aboutcha » P.144. In fine, le personnage de François a des penchants écologiques, est très engagé dans la lutte pour la sauvegarde de l’environnement. Aussi faut-il remarquer que le nom François attribué au personnage très dévoué à la cause de l’environnement dans l’œuvre n’est pas l’effet du hasard mais plutôt met en exergue la position de l’église catholique sur la question de la dégradation de l’environnement. Ce nom peut renvoyer à deux personnalités phares de l’église catholique qui ont œuvré grandement pour la protection de l’environnement : pape François, Saint François d’Assise. Par exemple, le pape François a développé la position de l’Eglise sur l’environnement, et plus généralement le développement durable en y intégrant les enjeux de justice sociale, dans l’encyclique Laudato si’ en 2015. Nous comprenons clairement donc que l’écrivain FARARA s’inscrit dans la même logique que ses aînés parce qu’il est lui aussi frère marianiste. Alors quelle invitation Ferdinand FARARA lance-t-il à ses lecteurs face à la dégradation de l’écologie par le personnage de François ?

Au terme de notre analyse, il convient de noter que la littérature n’est pas restée en marge de l’actualité quant à la dégradation de l’environnement et de sa protection. Aussi faudra-t-il souligner de passage que l’écologiste marianiste Ferdinand FARARA par son personnage François lance un appel fort aux lecteurs de son temps et des temps à venir à œuvrer vivement dans la sauvegarde de notre maison commune qu’est l’environnement. Il a su montrer aussi comment l’environnement est menacé par les hommes et que si rien n’est fait les conséquences qui peuvent en découler. Il a su renouveler le topo de l’environnement qui à l’heure actuelle ne laisse personne indifférente. Il recommande donc aux lecteurs et par ricochet à tout le monde de respecter les êtres naturels, d’observer des attitudes sages, civiques envers l’environnement comme le recommandait déjà Jean Rostand : « Locataires consciencieux, ne dégradons pas les lieux où nous respirons ».

 

FAMBI Kokou Isaac,

Etudiant en parcours licence au département de Lettres Modernes en semestre 5&6, à l’Université de Kara.