Note de lecture sur « les Larmes du passé »
Le titre est évocateur : Les lames du passé, c’est ici un récit qui évoque et fait évoquer non seulement des histoires éparses de vies et des espoirs presqu’âprement brisés, déchirés, éprouvés, bousculés par des vents et des torrents dévastateurs, des envies et goûts refroidis mais aussi des revers et des travers sociaux, des allers et retours des êtres humains, des époques et périodes de vies marquées par de très fortes turbulences. TAWE dans son roman partage avec ses lecteurs les faits et les non-faits, les réussites et les défaites, les joies et les ras-le-bol, les tours et retours, les contours et détours, les bruits et les silences les plus macabres de ses personnages. Elle nous livre aussi ce qu’il s’est passé et ne s’est pas passé dans leurs vies. Ce qu’ils ont fait et ont manqué de faire. Ce qu’ils ont ressenti et n’ont pas ressenti. Ce cocktail littéraire et émotionnel savamment préparé par l’auteure au goût très appétissant nous plonge dans les méandres de son univers fictif ainsi que dans celles de la vie des personnages : Keren Bushie, Nathan, Elischéba, Rasheed, Yasmine, Doc Eli, Dihine Bushie pour ne citer que ceux-ci.
Ces personnages à des degrés différents livrent aux lecteurs leurs blessures, leurs meurtrissures, leurs souffrances et peines, leurs mésaventures, leurs sombres et lugubres expériences que la vie et le destin leur ont fait subir ou leur ont fait vivre. L’écrivaine par sa plume et la technique narratologique du flashback ressuscite en chacun d’eux des souvenirs tracassants, accablants, consternants, affligeants provoqués par une circonstance afin de faire transparaître les empreintes et les ornières que la vie a laissé sur eux, en dessous et au-dessus d’eux. Ce roman peint quasi fidèlement les différentes facettes de la tragi-comédie de l’existence humaine.
Le récit s’ouvre par une situation initiale paisible du personnage principal Keren Bushie stagiaire dans une clinique qui était joyeuse et gaie. Elle fut sollicitée par le Docteur Eli Cupidon pour l’assister lors d’une intervention urgente pour cas d’AVC. Elle se dépêche et se rend à l’hôpital en toute diligence. C’est là que tout commence par basculer. Elle se rend compte que le patient portait le même nom que lui « Bushie » et reconnaît que le visage de ce dernier lui est familier. Elle écrit à cet effet : « il y avait ce quelque chose… son visage me paraissait familier, très familier, trop familier ». Il s’agissait bien évidemment de son oncle paternel Dihine Bushie qui sans vergogne, des années en arrière, après le décès brusque et inattendu de celui-ci l’avait agressé et violé méchamment alors qu’elle n’avait que dix ans. C’est cette découverte qui amène Keren à se confier à son mentor le Doc Eli. Dans la suite de ses échanges avec le Doc, elle fait pérégriner le lecteur dans les tumultes de sa vie et de celle de sa mère après le décès de son père, après qu’elle soit violée. Elle partage également ses expériences vécues dans son parcours scolaire avec ses camarades Elsa, Kris, Nathan, Rasheed, livre ses relations avec sa grand-mère maternelle, son oncle Dan et son épouse Yasmine etc.
Les lames du passé, bien qu’étant la toute première publication de cette jeune auteure et donc synonyme d’un coup d’essai se révèle après décryptage comme un coup de maître.
TAWE, dans son roman, n’a pas créé qu’une simple histoire, ne raconte pas que de simples et inutiles faits sociaux, ne fait pas agir que de simples personnages, ne narre pas que de simples évènements passés. Non ! Elle fait plus que ça sous le regard d’un lecteur qui la comprend dans ses idéologies. Elle comme tout autre romancier a créé des vies et les raconte, leur a insufflé par sa plume créatrice du souffle et de l’énergie, les ranime par sa propre chaleur, les fait agir, les fait parler…
L’auteure aborde avec hardiesse, toute naïve et modérée, moult thématiques et questions qui ne laissent guère dans l’indifférence le lecteur au rang desquels l’amour, le délicat problème de l’héritage, l’épineux problème du viol, les relations amicales et familiales, le pardon, l’effort, le travail, la relation de l’homme et Dieu, la prière etc.
Quant à l’épineux problème du viol, l’écrivaine le traite par la mise en scène de deux personnages phares : Keren et Elischéba, amie et mère de Nathan. Keren subit le viol dès l’enfance et pis encore par son oncle Dihine. Elischéba quant à elle, fut violée par le fils de la nouvelle femme de son père mais personne n’a cru en ce fait. Dans la même optique, une approche intertextuelle de ce roman nous permet aisément d’établir un lien avec la nouvelle « Bonita et l’oncle prédateur » de l’écrivain Ferdinand FARARA où Bonita fut violée par son oncle et ce sans que sa maman ne croit une chose pareille. Après cette remarque, une question pertinente taraude notre esprit : pourquoi TAWE parle-t-elle du viol ? Ses prédécesseurs n’ont-ils pas trop fait de littérature là-dessus ? La réponse est toute simple : c’est parce que le viol n’a pas cessé. C’est parce qu’il constitue une tare sociale. C’est parce que le fléau prend de l’ampleur et fait de nouvelles victimes. C’est parce que le viol freine et handicape l’épanouissement. C’est parce que ce vice social n’a pas encore trouvé de véritable remède. C’est parce que cette aberration consume et fait consumer des vies. C’est parce que les gens ont du mal à croire qu’il existe. Oui ! le viol existe, TAWE nous le confirme. Elle veut alerter ses lecteurs que la vigilance doit être de mise. Elle suggère à cet effet que les victimes de viol soient soutenues et consolées.
Dans la même dynamique, elle met exergue en exergue une peste sociale qu’est la délicate question de l’héritage à travers la belle famille de la maman Keren (Diane) qui la menace à mort pour les biens de leur défunt fils. Cette belle famille dans une certaine mesure constitue la cause lointaine des malheurs de Keren.
Que faire quand on vous a blessé, offensé et que ce fait passé qui vous a tant marqué resurgit dans votre présent et pourrit votre vie ? L’auteure nous recommande le pardon, le vrai. Pourquoi pardonner ? Parce que d’après elle, pardonner, c’est vivre. Pardonner, c’est donner des soins à son âme. Pardonner, c’est panser se plaies. Pardonner, c’est se guérir. Pardonner, c’est faire la volonté de Dieu. Pardonner, c’est s’affranchir. Pardonner, c’est dominer la haine et augurer l’amour. Bref, le pardon est thérapeutique et cathartique. Comment doit-on se prendre tout en sachant que le pardon est un chemin difficile à faire ? L’auteure nous recommande que pour pardonner, il faut aimer. Pour pardonner, il faut prier. Pour pardonner, il faut oublier. Pour pardonner il faut tout remettre et s’en remettre à Dieu. Pour le vivre-ensemble, le pardon doit être la vertu la mieux partagée dans nos sociétés.
Les lames du passé est un roman plein d’enseignements et de leçons, de savoirs, de témoignages, de mornes soliloques et de rebondissements. Il apprend aux lecteurs de ne point désespérer, de ne pas lâcher prise, de prendre la vie du bon côté, de résister, de continuer la lutte, de ne pas baisser les baisser les bras. TAWE suggère aux lecteurs que malgré les difficultés rencontrées et l’horizon brumeux des quotidiens de résister. Contre vents et marées. Contre vagues. Contre la souffrance. Contre la déception et la désolation. Contre les hauts et les bas. Contre le désespoir. Contre le découragement. Contre le pessimisme. Contre l’abandon. Contre la résignation. Et de croire en un lendemain meilleur. Keren Bushie n’y croyait pas. Mais grâce à son entourage et notamment au docteur Eli, elle a réussi, elle est parvenue à surmonter ses peines. Il faudra pour tout être humain rester débout, et développer une philosophie de survie basée sur l’espoir, l’optimisme et le refus de la pression sociale. Pour vivre heureux et épanoui, il faut apprendre à dire sous toutes ses formes aux mauvaises manières et aux vices. Non à la convoitise. Non à l’envie. Non au soupçon. Non à la jalousie. Non à la colère. Non à la trahison. A la page 110, l’auteure écrit : « je veux sourire à la vie tout comme elle me sourit. Je veux être heureuse, profiter minutieusement de chaque instant qui me sera donné. Et c’est ça mon choix ! » Elle fait remarquer aussi que « la vie a tout pour plaire » 104.
L’auteure se singularise par son style d’écriture assez simple, fluide, sobre et agréable à lire. Elle fait un mélange de genres et de registres de langue. Elle bascule tantôt dans le familier et tantôt dans le courant. Ce va-et-vient discursif procure un réel plaisir au lecteur et l’installe dans un délice. Sa plume est belle. Ravissante. Plaisante. Amusante mais profonde de sens et ornée d’esthétiques. Dans la création de ses personnages, TAWE introduit dans la langue française des noms en langue locale tels que Dihine, Dika etc. Elle assure le dialogisme entre sa création et celles antérieures à travers des citations des auteurs comme le poète Fransisco Luis BERNADEZ, Rick WARREN, Miguel de Cervantes, l’évocation du mythe de cupidon, des paroles de la chanson de Gamaliel Lombo et de Miche Akele.
Les personnages de TAWE sont également soumis à l’effet de duplication qui consiste à transmuer un nom en un autre au sein d’une même œuvre littéraire. Ainsi nous avons Rasheed qui devient Rash par moment, Nathaniel qui devient Nathan, Elischéba qui devient Elischa.
Pour finir, il convient de remarquer que l’auteure invite ainsi considérablement le lecteur à participer au jeu littéraire par des points de suspension qui jonchent abondamment le texte et qui y laissent des indéterminations au soin du lecteur.
FAMBI Kokou Isaac
Ecrivain romancier,
Président du Club littéraire de l’Université de Kara